Triduum de la béatification : dimanche 18 mai | Messe d’action de grâce et journée festive

Belle journée de fête au Bocage avec l’eucharistie, le repas et des jeux !

Homélie du Père J.F Chiron 

Voici un évangile qui convient bien à la circonstance qui nous rassemble au Bocage, et qui convient bien à son fondateur. Le Christ vient de nous donner un « commandement nouveau » : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. »

Un « commandement » (pas seulement une invitation) donné « en gros », qu’il s’agit de mettre en œuvre « en détail » ; un commandement donné à tous, à mettre en œuvre par chacun. Et – j’insiste sur ce point – chacun le fera de manière unique, non remplaçable. Chacun est appelé à faire ce que nul ne pourrait faire à sa place, si modeste que soit cette mise en œuvre. Et si cela n’est pas fait, personne ne pourra le faire, ne pourra suppléer, remplacer, se substituer.

Le bienheureux Camille Costa de Beauregard (comme il est agréable de pouvoir dire : « le bienheureux… » !) a mis en œuvre ce « commandement » ; d’abord bien modestement, puis à une plus grande échelle. Il a fait ce que personne n’aurait fait à sa place.

Nous nous souvenons de la parabole du Bon Samaritain, dans l’évangile selon saint Luc : elle vise à répondre à la question posée à Jésus : « Qui est mon prochain ? », mon prochain que Jésus me demande aujourd’hui d’aimer. Et Jésus conclut la parabole : « Fais-toi le prochain de l’autre ». Camille s’est fait le prochain des jeunes qu’il a accueillis. Il a mis en œuvre tous les moyens dont il disposait. Car quand Jésus nous commande de nous aimer « les uns les autres », il s’agit de savoir qui sont « les autres ». Ce ne sont pas d’abord ceux que nous sommes prêts à aimer comme naturellement, spontanément, parce que ce sont pour nous les plus proches, les plus semblables, humainement parlant, les plus « aimables » à tous les sens du mot. Il faut que l’« autre », le « différent », peut-être celui qui n’est pas aimable, devienne le « prochain. » Il faut voir le « prochain » dans l’« autre ». Il faut aimer quand même et malgré tout.

Camille s’est fait le prochain d’« autres » qui étaient bien différents de lui, de son milieu, de sa culture ; qui étaient à l’opposé de ce qu’il était, socialement parlant, et qui étaient bien peu considérés. Il a été leur bon Samaritain, comme Jésus a été le bon Samaritain de l’humanité tout entière, dont il s’est fait proche, lui qui était Fils de Dieu, proche d’une humanité qu’il s’agissait de sauver et, pour cela, d’aimer.

Pour Camille, cela n’a pas tjrs été facile. J’aime bien l’expression des apôtres dans la première lecture, celle des Actes des apôtres : « Il faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le Royaume de Dieu », c’est-à-dire pour accueillir le projet de Dieu sur nous et sur notre monde, pour faire en sorte que ce projet s’incarne. Les épreuves n’ont pas manqué à Camille, dans la direction d’un orphelinat ; mais aussi, semble-t-il, les épreuves intérieures, dues à un tempérament qui avait ses fragilités, on dirait aujourd’hui un penchant dépressif, contre lequel il devait lutter ou au moins avec lequel il lui fallait composer : encore une leçon : Dieu compte sur nous tel que nous sommes ; il nous donne de pouvoir aimer le prochain tel que nous sommes, il nous en donne les moyens tels que nous sommes. Comme saint Paul le fait dire au Christ : « C’est ma grâce, ma force, qui agit dans ta faiblesse. »

Et il s’agit ainsi, non pas de construire le Royaume de Dieu, nous ne sommes pas et Camille n’était pas si prétentieux, mais de faire en sorte que quelque chose du projet de Dieu se réalise, que par l’accueil du projet de Dieu quelque chose soit anticipé de la vision de l’Apocalypse (deuxième lecture) : toutes les fois où des larmes sont essuyées – et Camille a dû en essuyer – alors quelque chose de la demeure de Dieu parmi les hommes se construit, quelque chose du ciel advient. Le Bocage, sans vouloir idéaliser, toute réalité humaine a ses limites, cela a tout de même été quelque chose de l’avènement de la Jérusalem d’en-haut, c’est-à-dire d’un monde selon le cœur de Dieu – et cela doit continuer.

Comment Camille s’y est pris, nous le savons. On lui prête la formule, au sujet des plus difficiles de ses jeunes : « Un morceau de verre terni peut devenir un beau diamant. »

Si Camille a su transformer le verre en diamant, c’est que dans le verre, et le verre terni et peut-être cassé, il a su, à l’instar de don Bosco, discerner ce qu’il y avait, déjà, de diamant ; pour que le diamant en vienne à prendre de plus en plus de place. Ou, puisqu’on le qualifie de jardinier, il a su discerner en chaque jeune le germe qui ne demandait qu’à se développer, et il lui a procuré les conditions les meilleures à cette fin. Former en prenant en compte toutes les dimensions de la personne et en misant sur ce que chacun possède déjà et qui ne demande qu’à s’épanouir.

Il est temps de conclure. D’autant plus qu’on peut se demander : n’a-t-on pas, tous ces jours, assez – trop – parlé de du bienheureux Camille Costa de Beauregard ? Quelqu’un doit bien le penser – non pas tant l’anticlérical du coin qui lit le Dauphiné où il en est tous les jours question, ou entend sonner les cloches, que Camille lui-même, dont l’humilité était bien connue, et qui ne dédaignait pas de se déprécier – alors qu’il racontait avoir été insulté dans la rue par des jeunes, en tant que prêtre, il disait : « S’ils connaissaient le peu que nous valons (je parle de moi) ils nous mépriseraient bien davantage. » De là-haut, Camille doit se dire : il est temps de tourner la page.

Mais non : il n’est pas question pour nous de tourner la page de Camille : parce qu’il y a la prochaine étape, celle de la canonisation. Et, pour cela, il faut un miracle, encore un. Mais nous savons que le grand miracle de Camille Costa de Beauregard, c’est son œuvre, c’est le Bocage. Cette messe se veut une messe d’action de grâces, c’est-à-dire le lieu d’un « merci » à Dieu : merci pour la béatification, merci pour le bienheureux Camille, merci pour son œuvre qui se poursuit, et merci anticipé pour tout le fruit que la personne et l’œuvre de Camille vont continuer à porter, au Bocage et au-delà.

 

19 mai 2025